Heritage Brands : La tendance de la nostalgie

Heritage Brands : La tendance de la nostalgie

De l’âge d’or d’Hollywood chanté par Lana Del Rey à l’ère Victorienne façon Chroniques des Bridgerton, de la mode Polaroïd à la folie des vinyles, nombre d’entre nous fantasment sur un passé mythifié, un temps révolu et admiré. ‘C’était mieux avant’ diraient certains… Dans une époque de progrès technologique incessant, d’accélération exponentielle du changement, de remise en cause constante de l’ordre établi, l’histoire est un refuge et les vieilles pierres s’arrachent à prix d’or. 

Les marques l’ont bien compris, et celles qui ont la chance de justifier d’un âge à 2, voire 3 ou 4 chiffres capitalisent dessus. Retour sur un phénomène de société où ancienneté rime avec tendance. 

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures…

De quand date selon vous la plus ancienne marque toujours en activité ? Un indice : elle pourrait aisément qualifier Charlemagne de petit jeune… En effet, Kongo Gumi, compagnie de BTP japonaise, est créée en l’an 578 ! Plus de 50 générations se sont succédées à la tête de l’entreprise basée à Osaka.  Quant à la France, c’est bien évidemment à un vignoble que nous devons adresser la couronne de doyen. Le Château de la Goulaine sur les rives de la Loire produit ses bouteilles depuis plus d’un millénaire. 

Mais comment ces entreprises ont-elles pu traverser ainsi les époques ? Et bien figurez-vous qu’il s’agit peut-être de leur grand âge justement. Dans le marketing, on pourrait presque dire que la vieillesse protège de la mortalité. Ironique non ? Cette théorie possède même un nom : l’effet Linden. Concept élaboré au siècle dernier par l’universitaire américain Albert Goldman, on décrit ici l’idée selon laquelle l’espérance de vie d’une entité est proportionnelle à son ancienneté. Ainsi, plus elle survit dans le temps, plus elle a de chances de durer encore. Et non, cela ne s’applique malheureusement ni aux bananes, ni aux humains… 

Une nostalgie réconfortante en temps de crise

Il semblerait que nous soyons plus enclins en temps de crise à nous réfugier dans des valeurs et biens anciens, dont la stabilité et la présumée légitimité nous rassure. Face à un monde qui nous parait menaçant et incertain, le réflexe parfois inconscient est de retourner vers ce que l’on connait et qui nous semble sûr, fiable, ancré. 

Dans le contexte de pandémie actuelle, une étude a montré que plus de la moitié des consommateurs déclare avoir trouvé du réconfort dans la musique et les films de leur jeunesse*. La crise financière de 2008 entraina les mêmes réflexes il y a 10 ans. On peut même analyser sous ce même prisme les chocs pétroliers de la 2ème moitié du 20ème siècle, réputés avoir provoqué la Révolution Conservatrice des années 80. Devant des citoyens apeurés et bousculés après plus de 30 ans de croissance économique et de pleine puissance de l’Ouest, la perspective d’un déclin pousse les Occidentaux dans les bras de Reagan, Thatcher et consorts… 

 

Savoir mettre en scène son passé

Mais alors, quand l’histoire fait vendre, comment la promouvoir ? De quelle manière capitaliser sur son héritage, ses archives ? Une grande dame ne dit jamais son âge, pourtant les marques de luxe font parfois preuve d’un réel exhibitionnisme sur leur date de naissance. 

On ne compte plus les ouvrages commissionnés par les maisons sur leur histoire. Des livres de photos Editions Taschen où, pour seulement quelques dizaines voire centaines d’euros, vous aurez tout le privilège de feuilleter les clichés de Pucci ou Lanvin aux innombrables biographies de Coco Chanel et Christian Dior, le monde de l’édition se confrontait presque avec une fripe. Des bouquins devenus objets de collection ou même de décoration ! Quoi de plus chic qu’un recueil des archives Saint Laurent sur sa table basse finalement ? On pousse même aujourd’hui le vice jusqu’à vendre de faux livres siglés, autrement dit des boîtes en carton à logo, à poser nonchalamment dans une bibliothèque, ou l’ornement sans prendre la peine de lire… 

Pour aller plus loin er proposer une réelle expérience immersive dans l’univers et l’histoire de la marque, plusieurs maisons ont ces dernières années mis sur place des expositions présentant leurs archives. Citons ainsi Dior, Balenciaga ou encore Louboutin. Le nec plus ultra dans le domaine est évidemment d’ouvrir son propre musée à la manière d’Yves Saint Laurent, ou encore de s’associer à un musée existant et reconnu, tel Chanel qui finance les travaux du Palais Galliera, moyennant une belle mise en avant dans les ailes de l’établissement. 

Quand l’histoire est le produit

Enfin, la parfaite illustration de cette tendance à la nostalgie est le succès rencontré par les bien nommées ‘Heritage Brands’. Des marques dont l’identité entière repose sur leur ancienneté et le respect d’un patrimoine. Ici, ce n’est pas seulement le produit en lui-même que l’on vend, mais bien un bout d’histoire, le charme d’une époque, un instant volé dans un passé fantasmé. 

La maison Cire Trudon, fondée en 1643 sous le règne de Louis XIII, la famille de ciriers devient même fournisseur officiel de la cour de Versailles jusqu’à la Révolution. Traversant les âges et survivant à bien des régimes, Cire Trudon est toujours debout et propose aujourd’hui un assortiment de bougies, camés et mêmes parfums dans ses boutiques de Paris, Londres, New-York et même Séoul ! Packagings aux sceaux de l’Ancien Régime, senteurs de temps révolus, la marque mise en plein sur une tradition d’excellence et un charme suranné. 

Outre-Manche et toujours dans la parfumerie, la maison de fragrances masculines Penhaligon’s est aujourd’hui en plein retour de hype. Dans un univers barbier de l’ère édouardienne, la marque évoque la gloire passée de l’Empire Britannique, le temps des Lords et Ladies. Devant le succès de The Crown ou Dowton Abbey, Penhaligon’s a su flairer l’air du temps pour se relancer sur le devant de la scène. Acquise par le groupe Puig en 2015, la maison affiche une croissance à deux chiffres depuis**.

Parfois, les soubresauts de l’histoire peuvent totalement transformer une marque sans qu’elle n’en perde sa continuité. La Baie d’Hudson, aujourd’hui chaîne de grands magasins canadiens fut fondée en 1670, comme la plus vieille compagnie commerciale d’Amérique du Nord. A l’origine société d’exploration coloniale dédiée à la traite des fourrures du Grand Nord, on y trouve aujourd’hui’hui produits high tech et fast fashion. La marque a néanmoins conservé pour logo sa charte de fondation historique accordée par le roi d’Angleterre, et les archives de la Baie d’Hudson sont mêmes listées au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco ! 

Thibaut Elijah Lafargue, Consultant Brain&Heart

SOURCES : *Nielsen **Fashion Network

No Comments

Sorry, the comment form is closed at this time.