Men’s Beauty : l’Eldorado de la cosmétique masculine

Fini le temps où les hommes piquaient les crèmes et gommages de leur compagne. Aujourd’hui, même les garçons se mettent à la cosmétique, enfin ! Des hydratants classiques aux lignes dédiées à nos chers monsieurs, le marché de la cosmétique pour homme rencontre un véritable boom. Malgré cela, on rencontre toujours nombre de garçons qui disent “ne rien mettre” et pour qui les produits de beauté, “c’est réservé aux femmes, non ?”. Pourtant, l’histoire d’amour entre les hommes et la beauté ne date pas d’hier. Alors pourquoi ce tabou centenaire ? On enquête.

beau comme un pharaon !

Déjà en 4000 avant notre ère, les hommes de l’Egypte antique se maquillaient. Et oui, le fameux trait de khôl n’était pas réservé à Cléopâtre, bien au contraire ! Ces messieurs se dessinaient des yeux de chat avec du pigment noir, symbole de richesse et de noblesse

Il se dit même que l’empereur romain Héliogabale se maquillait allègrement, une habitude qui n’était cependant pas sans causer quelques railleries de la part des sénateurs. De l’autre côté du monde, la tradition japonaise du théâtre Kabuki ne s’envisagerait pas sans ses acteurs soigneusement maquillés, perruqués et parfumés. Le détail de sophistication de ces maquillages pouvant ici signifier le personnage interprété, l’âge ou le rang incarnés par l’acteur, parfois même l’émotion convoquée.

De la même façon, durant le règne d’Elizabeth 1ère d’Angleterre ou celui de Louis XIV, il était courant pour les hommes de la noblesse de se poudrer le teint avec outrance, pour atteindre ce teint diaphane si apprécié. C’était le symbole de leur statut, tout comme l’étaient leurs perruques et leurs talons. Des standards bien éloignés de nos normes modernes. 


Cachez cette poudre que je ne saurais voir

Après des siècles d’acceptation, voire même d’obligation pour certaines catégories d’homme de se maquiller en public, l’usage avait quasiment disparu. Un réel tabou était placé sur la beauté masculine, et un homme accusé de trop porter soin à son apparence avait vite fait d’être qualifié comme précieux, efféminé, voire faible ou fragile. Risible dans tous les cas. 

La portée culturelle du mythe romantique du countryman anglais, proche de la nature et pétri de rigueur protestante a longtemps cristallisé une forme d’austérité réglementaire de l’apparence masculine. Costume 3 pièces ou habit de chasse étaient bien souvent les seules tenues acceptables pour un homme respectable. Nous voilà bien loin du faste des tenues des empereurs romains et de nos rois de France. De la même façon, nulle place à quelconque coquetterie quant au visage de ces gentlemen, un nœud papillon bariolé ou un haut-de-forme à l’allure quelque peu exagérée étaient souvent les seules excentricités autorisées. 

Il est curieux de noter que dans notre société, les seules situations dans lesquelles un homme peut se permettre de se présenter maquillé sont les performances artistiques, la prise de parole publique d’un politicien ou grand patron, et la mort. En effet, la plupart des garçons ne porteront pour seul makeup de leur vie que les artifices mortuaires lors des obsèques. Bien triste introduction au monde du maquillage, n’est-ce-pas ?

Le retour en force de la barbe

Les années 2000 ont permis d’observer un timide début de faveur retrouvée des hommes pour leur visage. L’archétype du ‘métrosexuel’, chers à nos plateaux télévisés à l’aube du nouveau millénaire nous présentait alors un homme moderne, artificiellement bronzé, au muscle gonflé et au sourcil épilé. Source tant de moqueries que de désir, ces hommes ‘nouveaux’ incarnaient alors le renouveau de l’industrie cosmétique masculine

Cependant, ce phénomène restait proscrit à certains quartiers branchés des grandes métropoles, et souvent associé à une supposée homosexualité. C’est alors que la beauté virile fit son retour par le biais d’une figure quasi oubliée : le maître-barbier

Après des décennies de joues lisses et de mentons glabres, le port de la barbe reprit du poil de la bête. En quête d’une virilité parfois challengée, ou d’une impression de maturité, les jeunes générations sont de plus en plus enclines à arborer (quand on le peut) une pilosité faciale plus soignée qu’il n’y parait. On estime aujourd’hui que 92% des hommes âgés de 25 à 34 ans portent la barbe* ! Les visages lisses deviennent une denrée rare. 

Fini le vieux salon austère de grand-père ou l’on allait se faire raser le dimanche, place aux barbershops, branchés et brandés. Il y en a pour tous les goûts. De l’ambiance hip-hop aux repères de rockers, de dégustation de gins en salles d’expos au charme suranné, le métier de barbier se métamorphose et se trouve à la croisée de bien des chemins. 

Le retour en grâce des boucs et autres moustaches a par la même occasion permis l’émergence de toute une nouvelle gamme de cosmétiques dédiés aux poils de nos chers monsieurs. Huile, shampoings, crèmes et cires, les barbes se font chouchouter. Une tendance que n’ont pas loupé les géants du secteur, et qui s’est vu ouvrir la porte à bien d’autres habitudes…



Effectivement, il semblerait qu’aujourd’hui, le tabou de la cosmétique masculine commence à s’effriter. Les hommes n’en sont plus réduits à piquer la crème de leur compagne en cachette, et de nombreuses lignes, voire marques entières leur sont dédiées. 

L’industrie de la beauté n’en est pas à son coup d’essai. Nous pourrions citer Nickel, marque pionnière, proposant dès 1996 des soins et produits de maquillage conçus tout particulièrement pour la peau de ces messieurs. Peut-être un peu trop en avance sur son temps, la marque, après avoir été rachetée par l’Oréal, cessa son exploitation en 2015. 

Il ne s’en fallut ensuite que de quelques années pour qu’on assiste à une véritable explosion de la men’s beauty. Le marché, autrefois marginal, est aujourd’hui un des principaux vecteurs de croissance de l’industrie cosmétique, avec une croissance de près de 6% par an depuis 5 ans. On estime que la beauté masculine représente un marché estimé à représenter plus de 800 milliards de dollars en 2023**, et les ventes de soins pour hommes devraient même doubler d’ici 2031 !

Cette envolée du secteur peut s’expliquer de multiples façons, ici une libération des mœurs quant aux stéréotypes de genre, là une pression accrue portée sur l’apparence des hommes par les réseaux sociaux, ou tout simplement une prise de conscience masculine de l’importance du soin pour lutter contre les signes de l’âge. 

Symptôme de l’époque, certains influenceurs beauté masculins font partie des stars d’Instagram ou YouTube, citons Jeffree Star ou James Charles, ce dernier comptant plus de 3 milliards de vues sur sa chaîne et des collaborations avec nombre de marques du secteur. Certains prônent le « make up pour tous », d’autres lèvent les tabous du skin care comme @skincarebylouisoff

Les cosmétiques masculins peuvent sembler être une véritable bouffée d’air pour l’industrie, permettant d’enfin investir près de la moitié de la population. Les marques ne se sont pas faites prier bien sûr, et même des géants du luxe ont investi ce créneau, pensons à la ligne Boy de Chanel lancée en 2018, offrant fonds de teint, crayons à sourcils ou encore vernis à ongle masculins estampillés du double C. 

Mais les héritiers de Nickel ne sont pas en reste et ce sont aujourd’hui des marques comme @Horace, @Lumin ou encore @Ceylon qui remportent les suffrages. Nul doute que ce marché en folle croissance saura encore nous surprendre ces prochaines années et que de belles opportunités de changer les mentalités se présenteront bien vite. 

Thibaut Elijah Lafargue, Consultant / Planneur Stratégique Brain&Heart

Sources : *Enquête Bic Shave Club 2018 **Reuters